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Maradona c'est moi,
La découverte, 1993
190 p.

titre original : “Maradona soy yo”, Emecé, Buenos Aires, 1993.


 

 

 

TRADUCTIONS

Maradona sono io”,
Edizioni Scientifiche Italiane, Napoli, 1992.

traduit aussi en japonais

 

 

 

« Maradona, mon amour »,
par Jean-Noël Schifano
Le Monde, 5 juin 1992

 

Pourquoi et comment un gamin argentin a fasciné une ville, Naples, rompue de passions et d'excès. Un récit-enquête en forme de dribble.

C'est enlevé ! C'est dribblé ! Sept jours d'enquête maratho-maradonienne dans le théâtre napolitain. Des dizaines de personnes et de personnages, haut et bas placés, rencontrés, interrogés, et montrés, chacun dans son rôle. Ce n'était pas facile, il fallait faire vite, comme une feinte sur le stade San-Paolo, ce troisième volcan de Naples, la ville sur pilotis de tuf blond qui danse ses ardentes faims entre le Vésuve au levant et la Solfatare au couchant, vite comme l'éclair rond d'un penalty, et avec la dextérité diabolique d'un gamin qui vous chipe – le mot napolitain scippo est d'origine française – vos chaussettes dans déplacer vos chaussures ! ... Le récit-enquête est un plat qui se mange chaud, l'écrivain Alicia Dujovne Ortiz le sait, et ce qu'elle nous sert là est brûlant. Avec courage, rompue au jeu des mots, elle sait entretenir les mystères pour mieux les dévoiler.

Même parmi ceux et celles que le foot ne passionne pas fort, qui n'a entendu parler de Diego Maradona, de ses triomphes, de ses frasques, de ses démêlés avec les marionnettistes des sportifs, de sa chute entre le lit des femmes et les lignes de cocaïne ? Voilà pour le papier glacé à sensation. Mais sous la surface, sous l'herbe des stades et derrière les Ferrari, quel est le vrai visage de Maradona ? Pourquoi a-t-il fasciné une ville entière, Naples ? Pourquoi a-t-il été séduit, conquis et « baisé » par Naples ? La gloire et la déchéance du héros étaient-elles programmées ? Et par qui ? Maradona a-t-il été un pantin ou un rebelle qui finira par payer ses coups de tête plus cher que ne lui ont rapporté ses coups de pied ? Ressuscitera-t-il après sa crucifixion en bleu ? Les meilleurs détectives sont ceux qui se fondent dans le milieu où ils doivent enquêter. C'est exactement ce qui est arrivé à notre fin limier, Alicia Dujovne Ortiz, qui avait toutes les raisons du monde pour se trouver chez elle à Naples : Argentine de naissance, l'Orient et l'Espagne dans le sang ? « Dès ma descente du train, écrit-elle, j'ai trouvé frappante ma ressemblance avec tout le monde... A Naples, mon corps a occupé l'espace avec le plus grand naturel, tout de suite, et au rythme juste... » C'est vrai : même à Paris, on la prendrait pour une Napolitaine, taille, cheveux, chair, et ce rire qui fait trembler l'air d'une joie soudaine, gamine, suivi, au fond des yeux, de l'éclair de nostalgie des exilés. Du Paradis perdu aux portes des Enfers.

 

Un dieu ou un singe

 

Mais ce n'est apparemment pas un miroir d'elle-même que notre écrivain allait chercher à Naples. Dans la ville et dans son héros éphémère, c'est pourtant ce qu'elle a trouvé. Elle qui avait quitté l'Argentine en 1978, l'année où son pays, en plein règne de la soldatesque, gagnait le Mondial, elle avait un compte à régler avec les hommes de pouvoir qui font du jeu une machine de guerre économique et propagandiste. Elle avait aussi à sauver l'image du gosse argentin pour le hisser jusqu'à elle, pour devenir lui, en un acte de reconnaissance et d'amour, telle une Pietà Rondanini du football. Maradona. La Maronna : la Madone, en napolitain. Un rêve hermaphrodite d'avant toute séparation...

Dans le flash-back, « L'or du train », c'est entre Naples et Paris que l'auteur revit les premières années du petit Diego, les années de formation de ce fils des bidonvilles qui portera le nom de son père jusqu'à la gloire mondiale ... une grand-mère napolitaine, ça ne fait pas un champion, certes, mais ça met du feu dans le pied gauche ! Quant à son père, son premier entraîneur, émigré dans les faubourgs de Buenos Aires, il « avait décroché un curieux emploi : ouvrier dans l'usine Tritumol, où l'on triturait les os pour l'industrie chimique ». Maradona est né là, entre les boîtes rouillées et les tessons de bouteille, fin octobre 1960. c'est là qu'il a appris, du bout de ses pieds, à jouer avec les obstacles dangereux. A trois ans, son premier ballon, « de cuir » ; à douze ans, il passe à la télé ; à seize ans, il débute avec la sélection nationale face à la Hongrie, et la foule crie son nom. A vingt et un ans, il est vendu au club Barcelona pour 7 millions de dollars... « Maradona est le premier joueur du monde qui soit devenu une entreprise. »

On s'occupera de ses affaires ; lui, le prodige, court sur pattes et frisé comme aurait aimé le peindre ou le trucider Caravage, joue comme un dieu ou comme un singe (Savinio eût écrit que c'est tout comme), au fond des cratères hurlants de lave humaine. On lui casse la cheville gauche. Détesté à Bilbao, sifflé à Barcelone. C'est la tragédie grecque qui rebondit, sur son pied gauche, de stade en stade. Naples, enfin, pour le porter aux cieux, et qui l'abat en pleine gloire et le roule au bord des abîmes ; Naples, petit club à bourse plate, qui l'achète, du jour au lendemain, des milliards de lires... On blanchit beaucoup autour des boucles noires de Maradona... L'ingénu, le cœur simple manipulé, l'enfant qu'il est resté avec son diamant piqué dans son lobe et ses pirouettes d'animal capricant, ne sait pas que les fées grimées qui l'entourent dans le berceau napolitain des origines, si elles sont masquées de joie et de jeunesse, n'en demeurent pas moins les fameux Giuliano du quartier de Forcella – puisqu'il faut bien nommer ces anges noirs : au vrai, les plus dangereux des camorristes, sans foi ni loi, la lie de Naples, et que Naples a hérités de presque quatre siècles d'occupation, d'exploitation espagnole...

 

Les mythiques Champs ardents

 

La Camorra, et c'est là une petite erreur dans une si juste radiographie de Naples à travers un personnage emblématique, ne vient pas de l'Unité ratée, ainsi que le suggère l'ex-maire communiste Maurizio Valenzi, mais c'est un phénomène espagnol, comme bien des maux enracinés dans l'Italie du Sud et dans l'Amérique du Sud. Les gants dorés de la Camorra valent les gants d'Espagne qu'on offrait, jadis, à ses nobles ennemis, imprégnés d'un poison toujours mortel et qui, d'abord, pouvait rendre fou : comme il advint, sans doute, pour Masaniello, le rebelle de la révolution de 1647, qui fut successivement adoré par le peuple, sacrifié et, une fois assassiné, sanctifié.

Il y a davantage encore, dans ce livre. A travers la geste de Maradona, qui crie : pouce ! Ce n'est plus du jeu !, quand l'ordre de se débarrasser de lui, coûte que coûte, est probablement venu du Nord de l'Italie – cette partie de l'enquête, qui n'affirme pas mais qui questionne, est tout à fait remarquable, – c'est l'histoire d'une Italie déchirée qu'on entrevoit. Cette haine du Nord pour le Sud, et Naples en particulier, éclate quand Naples l'emporte sur Milan et ne cesse d'aller de victoire en victoire aux yeux du monde. « Napolitains, peut-on lire dans les stades du Nord, bienvenue en Italie ! »... « Vive les champions d'Afrique du Nord ! » ... « Non à la vivisection, utilisons les Napolitains »... Certes, les passions mettent une loupe agrandissante sur les faits – mais les ligues lombardes, hélas !, ne sont-elles pas bien réelles et bien actuelles ? Mais le fait est que, depuis Cavour, l'Italie se cherche, se lacère, se désunit. Tout miracle, économique ou ludique, y est pris pour un mirage...

« Si c'est un rêve, ne me réveillez pas ! », implorait un Napolitain quand le lutin Maradona pirouettait de but en but, au bord de l'Averne, là-bas, dans les mythiques Champs ardents où se trouve le stade San-Paolo ; là où, à la sortie lente et bruyante des matches, on peut entendre, aujourd'hui, des chœurs chanter en silence un saturnien Te Diegum.

 

 
     

Emmaradona, ou le footbovarysme
Dominique Durand
Le Canard Enchaîné

 (en construction)

 

 

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